MEMORANDUM DE LA SOCIETE CIVILE RELATIF A LA LUTTE CONTRE LA
CORRUPTION EN GUINEE:

Réflexion sur le décret D/2020/286/PRG/SGG portant contenu du formulaire de déclaraton de patrimoine.

Considéré comme un cancer qui gangrène les circuits fnanciers et
économiques du développement, c’est au milieu des années 90 que le phénomène de la corrupton s’est afrmé dans l’agenda des insttutons
fnancières internatonales1
. Depuis lors, de multples programmes de lute
contre la corrupton ont été élaborés et expérimentés en leur sein, dans le
cadre du développement des stratégies de bonne gouvernance.
En Guinée, le développement du phénomène de la corrupton tre ses racines
dans les reformes de privatsaton des Entreprises publiques entamées par la
seconde République, sous l’impulsion des mêmes insttutons fnancières
internatonales. Les militaires nouvellement arrivés au pouvoir et certainement sans expérience, vont prendre l’Etat en otage, en le metant entèrement à leur service et à celui de leurs soutens. Ce système a nourri et entretenu de nombreuses années de corrupton qui ont entrainé la déliquescence de l’Etat.
De nos jours, la Guinée est classée parmi les pays les plus corrompus dans le monde. Elle occupe la 130ème place sur 180 pays de l’indice de la percepton de la corrupton dans le secteur public selon Transparency Internatonal. Dans la même logique, Selon l’économiste Badra DIOUBATE, le montant de la
corrupton en République de Guinée depuis 1986, se chifre à 1 milliards de
dollars par an, et quant aux rapports précédents de l’ANLC, ils fxent le chifre
annuel à 600 milliards de francs guinéens.

Le CNOSCG rappelle en outre que l’avènement de la 3ème République en 2010 sur fond d’un héritage de gouvernance mitgée, a suscité chez lui comme chez bon nombre de guinéens, un espoir certain quant-à la déterminaton des autorités à engager des réformes nécessaires pour endiguer et éradiquer le phénomène de la corrupton. Le président de la République exprimera cette volonté dès le 7 juin 2011, par la créaton d’un comité d’audit qui sera rataché
à la présidence.
Ces efforts vont se concrétser progressivement à travers plusieurs autres
actons dont :

  • L’inscripton de la lute contre la Corrupton dans la letre de mission de
    tous les membres du gouvernement et l’exigence de la transparence
    dans tous les processus administratfs ;
  • L’adopton de la loi portant préventon, détecton et répression de la
    corrupton en 2017 ;
  • La mise en place de l’Autorité de Régulaton des Marchés
    Publics (ARMP);
  • La créaton du Centre de Traitement de l’Informaton fnancière pour
    luter contre le blanchiment d’argent ;
  • La promulgaton de la Loi Organique LO/2013/046/CNT du 18 janvier
    2013, portant organisaton, atributons et fonctonnement de la Cour
    des Comptes et le régime disciplinaire de ses membres ;
  • L’adopton et la promulgaton de la Loi 142016/060/AN du 26 Octobre
    2016, portant nouveau Code de procédure Pénale ;
  • L’adopton et la promulgaton de la Loi L/2016/0599/AN du 26 Octobre
    2016, portant nouveau Code Pénal ;
  • La signature du décret D/2012/128/PRG/SGG du 03 décembre 2012,
    portant code des marchés publics et délégatons de services publics 06-
    26 ;
  • L’adopton très récente par le parlement d’une loi portant droit d’accès à
    l’informaton publique3
    . Et tout récemment,
  • La promulgaton du décret D/2020/286/PRG/SGG portant contenu du
    formulaire de déclaraton de patrimoine.
  • En efet, le 13 novembre 2020, le président de la République a introduit dans
  • l’ordonnancement juridique Guinéen, le Décret D/2020/286/PRG/SGG portant
    contenu du formulaire de déclaraton de patrimoine. D’une portée théorique
    cruciale, ce décret vient compléter l’étape fnale de la procédure de déclaraton
    de patrimoine à laquelle sont désormais assujets tous les agents publics.
    Le CNOSCG qui est une entté de veille, d’alerte et de propositons d’actons
    citoyennes voit en ce décret un instrument clé dans l’exercice de son droit de
    contrôle, d’évaluaton et d’appréciaton des politques publiques.

Toutefois, si le CNOSCG salue les eforts du gouvernement, déployés en faveur
de la mise en place de toute une panoplie d’instruments juridico-insttutonnels
comme mentonnés ci-dessus, il déplore par contre, l’absence d’actons réelles
traduisant cete volonté gouvernementale dans l’édifcaton d’une meilleure réponse en matère de préventon et de lute contre la corrupton.

Dès lors, le CNOSCG se propose une réfexion critque du décret
D/2020/286/PRG/SGG portant contenu du formulaire de déclaraton de
patrimoine aux fns d’en ressortr ce qui lui paraît être ses points forts et ses
points faibles.
A- Les forres dul dérre :

  • L’interventon salutaire du décret, car permetant de rendre efectve,
    l’obligaton consttutonnelle de déclaraton des patrimoines des agents
    publics ;
  • Il est l’expression d’une volonté politque qui vient combler un vide
    juridique qui a longtemps mis en panne le mécanisme de préventon et de
    lute contre la corrupton ;
  • Il complète la loi L/2017/041/AN du 4 juillet 2017, portant préventon,
    détecton et répression de la corrupton et des infractons assimilées, en
    renforçant et en reprécisant le dispositf à travers l’énumératon claire et
    précise des éléments du patrimoine à déclarer ;
  • La procédure de déclaraton du patrimoine est désormais clairement et précisément défnie pour les assujets ;
    B- Les faibleesses dul dérre :
    Considérant que c’est un décret d’applicaton de la loi L/2017/041/AN du 4
    juillet 2017, portant préventon, détecton et répression de la corrupton et des
    infractons assimilées ;
    Considérant que cete même loi présente quelques ambiguïtés vis-à-vis de la
    Consttuton du 14 avril 2020 dont elle est le prolongement, et lesquelles
    impacteront logiquement sur l’applicaton dudit décret. Il est dès lors judicieux
    de commencer par relever et clarifer ces incohérences qui se présentent
    comme suit :
  • L’artcle 66 de la Consttuton du 14 avril 2020 dispose « les fonctons de
    membres du gouvernement sont incompatbles avec l’exercice de tout
    mandat parlementaire, toute foncton de représentaton professionnelle, à
    l’échelle internatonale, natonale ou locale, tout emploi public et privé et
    toute actvité professionnelle » et l’artcle 31 de la loi ant-corrupton quant

à lui dispose « Est interdit à tout agent public, l’exercice par lui-même ou
par personne interposée, de toute actvité commerciale ou lucratve, à
l’excepton de la commercialisaton de ses productons agro-pastorales non
industrielles, litéraires, scientfques et artstques » l’artcle 49 de la même
loi, abonde dans le même sens.
Observatons : la loi apporte des exceptons dans un domaine où la
Consttuton ne le fait pas. Il est du rôle classique d’une loi Organique en
droit, d’intervenir pour détailler et fxer le régime des dispositons
condensées de la Consttuton. Sauf qu’en l’espèce, la consttuton est très
claire en son artcle 66. On pourrait donc déduire à l’inconsttutonnalité des
artcles 31 et 49 de la loi.

  • L’inefcacité du mécanisme peut résider au niveau du fait que la
    Consttuton fait intervenir successivement dans la procédure de déclaraton de patrimoine, deux insttutons consttutonnelles à savoir : la Cour Consttutonnelle (artcles 49 et 64) pour la récepton des déclaratons de patrimoine avec une copie pour la Cour des Comptes. Et l’alinéa 4 de l’art.
    64 précise « la cour consttutonnelle est chargée de contrôler les
    déclaratons de biens ainsi que les modalités de déclaratons » sachant que le formulaire de déclaraton est fourni par la Cour des Comptes.
    Observatons : il aurait été mieux d’unifer cete procédure au proft d’une seule insttuton avec une préférence pour la Cour des Comptes dont le domaine d’acton technique et l’expérience des ressources humaines en la
    matère, prédispose à plus d’efcacité et d’efcience.
  • Le formulaire de déclaraton du décret rempli et signé ne précise pas que le dossier doit être assort de pièces justfcatves ou note explicatve contre décharge à l’instar du formulaire de déclaraton de beaucoup de pays dont
    le Sénégal. L’intérêt d’une telle précision réside au niveau de la facilité de contrôle ;
  • Les déclaratons de patrimoine doivent impératvement faire l’objet de vérifcaton par des organes qui ont une compétence avérée en la matère.
    Or, excepté le chef de l’Etat et les responsables des insttutons
    consttutonnelles pour lesquels la Cour Consttutonnelle est compétente
    en matère de contrôle (art. 49 et 64), aucune dispositon ne parle
    clairement et précisément de la structure habilitée à contrôler, l’exacttude,

l’exhaustvité, la sincérité et la véracité des informatons contenues dans la
déclaraton de patrimoines des autres agents publics ;
I- Cons a s Généraulx sulr lees méranismes de leulte ron re lea
rorrulpton :

  • L’érecton de divers organes juridictonnels en instance de récepton des
    déclaratons de patrimoine art. (49 et 64 de la Consttuton) et art (259 de la
    Loi ant-corrupton) ;
  • L’existence parallèle de l’Agence Natonale de Lute contre la Corrupton et
    de l’Organe de Lute contre la Corrupton prévu par l’artcle 1596 de la loi
    ant-corrupton, matérialisé par le décret D/2018/241/PRG/SGG aux
    compétences confuses. Cete situaton empêche la désignaton claire de
    l’Organe Natonal de lute Contre la Corrupton conformément aux
    recommandatons de la conventon des Natons-Unies contre la Corrupton ;
  • Le difcile accès du citoyen au journal ofciel de la république qui coûte
    cher (100 000 fg), malgré la consécraton du principe Consttutonnel de
    l’accès à l’informaton publique ;
  • Le retard accusé dans la publicaton d’une loi organique portant droit
    d’accès à l’informaton publique pour permetre aux citoyens, aux
    organisatons de la Société Civile et aux journalistes de mieux trer proft des
    droits consacrés par la loi ant-corrupton (art. 94) ;
  • La méconnaissance par le plus grand nombre de citoyens Guinéens des
    droits que consacrent en leur faveur la législaton ant-corrupton ;
  • Le défcit de confance des citoyens quant-à la réelle volonté des autorités
    de prévenir et de luter contre les actes de corrupton ;
  • L’absence d’une stratégie natonale de lute contre la corrupton et
    l’insufsance des moyens afectés pour une meilleure prise en charge du
    phénomène ;
  • La faible capacité technique des structures dédiées à la préventon et à la
    lute contre la corrupton ;

Maintenant que le dispositf juridique est quasi complet, quels sont les
moyens d’ordre humains, techniques et fnanciers que vont disposer les
structures de lute pour mener à bien leurs missions ;

  • Malgré la consécraton consttutonnelle du principe de déclaraton des
    biens et l’entrée en vigueur de la loi ant-corrupton en 2017, le bilan reste
    très mitgé en termes de poursuite (excepté les cas de l’OGP et LONAGUI)
    II- Rerommandatons Généralees :
  • Les déclaratons de patrimoine devraient être soumises à une périodicité
    régulière incluant aussi la période de l’exercice du mandat afn que soit
    possible une vérifcaton de la situaton actuelle ainsi que les variatons
    substantelles du patrimoine ;
  • Prendre des dispositons plus précises et pratques afn que les déclaratons
    de patrimoine soient plus accessibles au grand public et ce, dans le respect
    de la vie privée ;
  • Doter rapidement le pays d’une stratégie natonale de bonne gouvernance
    et de lute contre la Corrupton ;
  • Les mécanismes de préventon et de lute contre la corrupton ayant à priori
    une valeur pédagogique et préventve, il aurait été efcace de désigner à la
    place des organes juridictonnels compétents actuellement dans la
    récepton des déclaratons de patrimoine, des organes administratfs
    natonaux de lute contre la Corrupton tels que, l’Agence Natonale de Lute
    contre la Corrupton ou l’Organe de préventon et de Lute contre la
    Corrupton dans le but d’opérer une distncton entre les autorités qui
    reçoivent les déclaratons de patrimoine et celles qui seront chargées de
    sanctonner les éventuelles violatons ;
  • Réduire le nombre des structures de lute contre la corrupton tout en les
    dotant de plus de moyens humains, techniques et fnanciers pour faciliter
    les investgatons dans les diférents cas de corrupton soit par dénonciaton
    ou par auto-saisine ;
  • Développer à défaut, une collaboraton interinsttutonnelle poussée des
    insttutons en charge des déclaratons des patrimoines (fonctonnement
    actuel est quasi balkanisé). Cela favorisera une bonne coordinaton entre
    acteurs concernés (acteurs fnanciers, publics ; société civile et tribunaux) ;
  • Doter les insttutons en charges des déclaratons des patrimoines des
    ressources humaines et fnanciers sufsantes pour réussir leur mission. Pour
    cela ces insttutons devraient avoir accès à temps opportun aux ressources

prévues pour le perfectonnement contnu du personnel et l’amélioraton de
la qualité des actvités ;

  • L’érecton de l’Organe Natonal de Lute contre la Corrupton en une
    Autorité Administratve Indépendante à l’instar de l’Ofce Natonal de lute
    contre la Fraude et la Corrupton (OFNAC) et de la Haute Autorité pour la
    Transparence de la Vie Publique (HATVP), respectvement du Sénégal et de
    la France, tout en procédant à une décentralisaton fonctonnelle avec la
    possibilité que soit accordé à ses agents de véritables pouvoirs de police
    judiciaire ;
  • La créaton de l’organe natonal de lute contre la Corrupton contrairement
    à la pratque en cours (décret ou arrêté ministériels) par une loi, dans le but
    de le metre à l’abri des humeurs dues aux changements de régime ;
  • La créaton d’un tribunal spécialisé de lute contre la corrupton à l’instar de
    la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) du Sénégal ;
  • L’initaton par la société civile avec le souten de l’Etat, d’une vaste
    Campagne de sensibilisaton et de vulgarisaton des textes en faveur des
    agents publics assujets et de nos populatons ;
  • La promoton et la préventon de la lute contre la corrupton et des
    infractons assimilées par la société civile telles que préconisée par la loi
    ant-corrupton dans son artcle 60 et suivants ;
  • La révision très prochaine de la loi L/2017/041/AN du 4 juillet 2017, portant
    préventon, détecton et répression de la corrupton et des infractons
    assimilées pour une conformité consttutonnelle ;
  • La mise en place urgente de la Haute Cour de Justce, seul organe
    consttutonnellement compétent pour juger les membres du
    Gouvernement pour les cas de crimes et délits (corrupton et infractons
    assimilées) art 121 de la consttuton.
  • Fai à Conakry, lee 03 dérembre
  • 2020
  • Dr Dansa KOUROUMA